La chronique du 5 juin 2021
Cryptoactifs : bulle ou révolution ?
Par Joël-Alexis BIALKIEWICZ
Les débuts
En 2009, un informaticien se présentant sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto lance le bitcoin. L’idée d’une monnaie virtuelle n’est pas nouvelle ; par contre, tous les projets précédents reposaient in fine sur un élément non virtuel : la signature d’un émetteur reconnu ou un autre actif. La révolution du bitcoin, c’est son autonomie. Sa valeur, comme celle des métaux précieux, repose sur sa rareté intrinsèque : personne, même son créateur, ne peut en émettre à volonté.
Du jouet pour étudiant à l’actif de réserve
Initialement vu comme un jouet, il a depuis fait la fortune de quelques étudiants qui en avaient acheté voire produit lors des débuts. Le bitcoin est ainsi progressivement devenu ces dernières années un produit financier détenu par de très sérieux institutionnels, d’abord dans un but spéculatif mais aussi plus récemment comme actif alternatif à l’or physique en tant que protection contre l’inflation. Les rumeurs les plus folles courent à son sujet. Certaines évoquent une possible détention par des banques centrales.
Une monnaie alternative ?
Le bitcoin a commencé à être accepté comme monnaie d’échange par quelques entreprises connues et moins connues. Il est possible depuis des années d’acheter du matériel informatique et des jeux vidéo avec des bitcoin. Il est moins facile d’acheter du pain ou de la viande. Le cas de Tesla, depuis revenu sur sa décision, officiellement pour des raisons écologiques, pourrait en annoncer d’autres. Néanmoins, la forte volatilité du bitcoin ne lui permet pas de rivaliser avec les grandes devises internationales. Les spécialistes préfèrent donc parler de cryptoactifs plutôt que de cryptomonnaies. Par contre, dans les pays où la devise nationale est instable, les autorités prennent, déjà, des mesures pour l’interdire, signe qu’il représente une concurrence réelle.
Un pousse-au-crime ?
Au cours des décennies, le système bancaire a adopté un certain nombre de règles pour contrarier les opérations criminelles. Si les criminels aguerris savent les contourner, ces règles, notamment la réversibilité des transactions, permettent de mettre en échec une partie des fraudes. Ainsi, les rançongiciels, par exemple, demandent désormais presque systématiquement un paiement en bitcoin. Néanmoins, ces fraudes existaient avant le bitcoin. On a aussi entendu parler de silk road, le marché en ligne des produits et services illicites, qui l’utilisait comme monnaie d’échange. Mais le bitcoin n’a pas empêché l’organisateur d’être pris. Il ne faut pas oublier non plus que la liberté qui règne dans le monde occidental n’a rien d’universel. Dans certains pays, l’homosexualité ou la dissidence politique sont punies de mort. La surveillance des dépenses est un des moyens de connaître la vie privée des personnes. La capacité qu’offre le bitcoin d’y échapper est aussi un outil de protection des libertés.
Le bitcoin, un actif gourmand en ressources
Sans entrer dans des détails de théorie cryptographique qui intéressent les spécialistes, la rareté du bitcoin repose sur le fait que la création de nouveaux bitcoins est limitée. Si l’un des acteurs du réseau tentait d’en créer plus qu’il n’en a le droit, ses « bitcoins » ne seraient pas reconnus par le réseau et seraient donc sans aucune valeur. Chaque acteur qui désire introduire de nouvelles transactions dans le réseau doit résoudre un problème cryptographique, ce qui nécessite de la puissance de calcul. Pour éviter les fraudes, la puissance requise pour le résoudre augmente en proportion de la puissance totale dans le réseau. C’est le principe de la « preuve de travail » ou proof of work. Le processus par lequel un acteur trouve la solution est appelé « minage ». Celui-ci, très gourmand en ressources, est un vrai problème écologique.
Les alternatives à l’alternative
Dans le sillage du bitcoin s’est développée une série d’autres cryptoactifs. Certains, comme litecoin, sont de pâles copies. Beaucoup, comme dogecoin, relèvent de la plaisanterie. D’autres ne sont cryptographiques qu’en surface, reposant plutôt sur la crédibilité d’un élément extrinsèque tel qu’un émetteur ou un dépôt de garantie. D’autres encore, comme Ethereum ou Tezos, ont un vrai intérêt, cherchant à exploiter d’autres propriétés intéressantes de la blockchain, notamment les smart contracts (contrats auto-exécutifs) qui méritent un article à eux seuls. Ils cherchent aussi à résoudre le problème écologique de la « preuve de travail », très consommatrice d’énergie, pour y substituer un autre dispositif algorithmique, celui de la « preuve d’enjeu » ou proof of stake. Ainsi, la validation des nouvelles transactions ne s’effectuerait plus en résolvant un problème cryptographique, en dépensant beaucoup d’énergie, mais en démontrant la détention d’un nombre suffisant d’unités du cryptoactif. Au « minage » s’oppose ainsi la « cuisson » ou baking. Des solutions aux problèmes de conformité (connaissance de la clientèle, lutte antiblanchiment) et de gouvernance commencent à apparaître.
Quel avenir ?
Malgré un parcours chaotique, le mouvement semble s’accélérer. JPMorgan évoquait en début d’année un objectif de valeur à près de 150 000 dollars pour le Bitcoin. Depuis, le cours s’est largement replié. Mais est-il si important ? Le bitcoin, s’il reste aujourd’hui leader incontesté des cryptoactifs autonomes, est loin d’en être l’horizon indépassable. Les cryptoactifs non autonomes seront vite démasqués. La répression reste possible, mais provoquerait l’émergence rapide d’un nouveau protocole qui y résisterait. Personne ne peut exclure que le bitcoin lui-même ne vaille plus rien dans 3 ans, notamment s’il est dépassé et rendu obsolète. Néanmoins, le saut technologique représenté par les cryptoactifs autonomes a de telles implications qu’il aura nécessairement des impacts majeurs sur le système financier.
Joël-Alexis Bialkiewicz est ingénieur en informatique et docteur en informatique théorique. Il est associé gérant de la Banque Delubac & Cie, membre du Conseil d’administration de la Société d’Economie Politique.