La chronique du 10 juillet 2021
Système universel de retraite : l'heure du renoncement
Par Vincent TOUZE
Les 42 régimes de retraite français auraient dû amorcer une longue transition vers un système universel par point et par répartition à compter du 1er janvier 2022. L’adoption de cette réforme semblait certaine début mars 2020, le texte ayant été adopté à l’Assemblée nationale. Ne restait plus que le franchissement des portes du Sénat et un retour du texte à l’Assemblée nationale pour un vote définitif avant la promulgation. Tout va pourtant s’arrêter le 16 mars 2020 suite à l’annonce du président Macron de recourir à un confinement inédit en raison de la crise sanitaire et de suspendre la réforme des retraites.
Une réforme systémique ambitieuse
La réforme s’annonçait pourtant prometteuse. Le système par point incarnait la simplicité. L’universalité garantissait l’égalité de traitement (« mêmes droits quel que soit le statut »). Le pilotage et l’obligation d’équilibre financier étaient un gage de confiance et de garantie que les droits acquis seraient honorés. Le financement par répartition préservait la solidarité actuelle entre les générations puisque les actifs allaient continuer à financer la pension des retraités. La solidarité se trouvait renforcée grâce à une pension minimum contributive fixée à 85% du SMIC net. Enfin, le principe actuariel de relier le montant de la pension à l’espérance de vie à la retraite aurait pu permettre d’aborder la question des inégalités d’espérance de vie.
Certes le chemin était semé d’embuches techniques et politiques.
D’un point de vue technique, simplifier est toujours compliqué car il est difficile de reproduire avec moins de paramètres toutes les propriétés du système actuel puisque chaque régime présente ses propres particularités (taux de cotisation, modes de calcul, âge de liquidation, assiette de prélèvement…). C’est pourquoi, afin de lisser les effets de la réforme, une longue transition avait été programmée. Les générations entrant sur le marché du travail à partir 2022 allaient adhérer intégralement au nouveau système. Pour celles nées avant 1975, elles n’y adhéraient jamais. Pour celles nées après, elles conservaient les droits déjà acquis dans les régimes actuels puis adhéraient pleinement au nouveau système à partir de 2025.
D’un point de vue politique, les travailleurs les plus impactés par la réforme, principalement les bénéficiaires des régimes spéciaux et les enseignants, avaient montré une franche hostilité et usé du droit de grève. Le Premier ministre Edouard Philippe résistera à cette pression de la rue et également aux stratégies d’obstruction parlementaire puisqu’il fera adopter le texte en première lecture à l’Assemblée nationale, sans débat suite au recours à l’article 49.3.
En route vers l’abandon de la réforme
Depuis 16 mois, la politique du « quoi qu’il en coûte » a mis de côté l’objectif d’équilibrer les finances publiques et la réforme des retraites.
Il y a tout juste un an, mi-juillet 2020, le premier ministre nouvellement nommé, Jean Castex, s’engageait à adopter une nouvelle méthode de « concertation » et à distinguer clairement « son caractère structurel » de « ses éléments financiers ». Cette déclaration sera suivie fin août par celle de Laurent Pietraszewski, Secrétaire d’Etat aux retraites, pour qui la réforme « se fera avant la fin du quinquennat ». Fin 2020, une certaine divergence sur la temporalité de la réforme est apparue. Pour Bruno Le Maire, Ministre de l’économie, la réforme des retraites est urgente (14 décembre 2020). Pour Elisabeth Borne, Ministre du travail, « la priorité absolue, c’est de sortir de la crise sanitaire » (29 novembre 2020). Quant à Richard Ferrand, Président LREM de l’Assemblée nationale, ce projet est « une excellente première réforme de deuxième quinquennat » (13 décembre 2020).
De janvier à mai 2021, l’actualité des retraites a été réduite. Toutefois, depuis le mois de juin, le sujet connaît une certaine accélération avec la déclaration d’Emmanuel Macron (3 juin) qui reconnait que la réforme était « très ambitieuse, extrêmement complexe et du coup porteuse d’inquiétude » et qu’elle « ne pourra pas être reprise en l’état ». Cet aveu a fait réagir Edouard Philippe pour qui « Il faudra travailler plus longtemps » (5 juin) et « passer par une augmentation de la durée de cotisation » (1er juillet).
Ces annonces ont fait rejaillir une fracture politique déjà ancienne au sein de la majorité sur la façon de réformer entre d’un côté ceux qui soutiennent un changement systémique et de l'autre ceux qui prônent une modification des paramètres. C’est ainsi que l’idée d’une simple réforme paramétrique de hausse progressive de l’âge minimum est revenue en force. D’un point de vue budgétaire, le recul de l’âge de la retraite présente deux mérites : il est à la fois source d’économie – le temps passé à la retraite et donc la masse de pension initialement prévue diminuent – et de hausse des recettes de cotisations – la durée d’activité obligatoire augmente, et le nombre de cotisants également. Toutefois, cette stratégie se heurte à deux limites. D’une part, elle pénalise ceux qui sont entrés tôt sur le marché du travail. D’autre part, les travailleurs seniors font potentiellement face plus longtemps à des problèmes d’employabilité. Le gouvernement Fillon avait déjà eu recours à cet outil en 2010 suite à la crise financière. L’âge de la retraite avait alors été progressivement relevé de 60 à 62 ans pendant six ans à partir de 2011. La majorité du centre et de la droite du Sénat a fait une proposition dans ce sens en novembre 2020 dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021. Elle préconisait alors d’augmenter l’âge minimum de 62 à 63 ans afin de restaurer l’équilibre budgétaire à l’horizon de 2030. Cette fois-ci, il serait question d’atteindre 64 ans. Bruno Le Maire soutient cette proposition et opte pour ne pas la « remettre à demain » et la faire dès « aujourd’hui » (29 juin), même s’il reconnaît être « favorable à ce que le débat sur la réforme des retraites ne soit pas fermé » (8 juillet).
Quoi qu’il en soit, l’adoption de la réforme systémique des retraites avant mai 2022 ne paraît guère possible. Reste à savoir quelle sera la teneur du discours du président Macron lors de son allocution du 14 juillet et s’il refermera ou pas le débat qu’il a ré-ouvert début juin.
Vincent TOUZE est membre de la Société d’Economie Politique et Economiste à Sciences-Po - OFCE