La chronique du 31 juillet 2021
Vingt ans après, l'échec de la LOLF
Par François ECALLE
Au bout de 20 ans, il faut reconnaître l’échec de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001.
Votée à l’unanimité, ses trois principaux objectifs étaient : un renforcement du rôle budgétaire du Parlement ; un enrichissement de l’information budgétaire et comptable ; la mise en place de procédures budgétaires permettant d’améliorer les « performances » de la gestion de l’Etat.
S’agissant du premier objectif, je me contenterai de noter que l’équilibre des pouvoirs budgétaires entre le Gouvernement et le Parlement n’a pas été fondamentalement modifié et, s’agissant du deuxième, que la principale innovation introduite par la LOLF a été la mise en place d’une comptabilité générale de l’Etat inspirée de celle des entreprises qui, coincée entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité nationale, ne sert quasiment à rien.
S’agissant du troisième objectif, la LOLF avait pour ambition d’améliorer les performances de la gestion de l’Etat et beaucoup d’économistes voyaient en elle la matrice d’une grande réforme de l’Etat. En contrepartie de pouvoirs accrus et de règles de gestion plus souples, les gestionnaires des crédits budgétaires devaient être « responsables » des résultats obtenus, ceux-ci étant présentés dans des « rapports annuels de performance » et mesurés par des indicateurs quantitatifs associés à des objectifs fixés dans des « projets annuels de performance ».
Autrefois cloisonné en 800 chapitres par nature de dépenses, le budget est désormais divisé en 120 « programmes » regroupant les crédits affectés à des politiques publiques bien identifiées, ce qui a nettement facilité la gestion des ordonnateurs. C’est le principal apport de la LOLF.
Les contrôles a priori sur l’utilisation des crédits ont été allégés, mais ils subsistent et les crédits délégués aux responsables territoriaux restent trop souvent fléchés vers une affectation précise.
Les « responsables » de programmes budgétaires ne maîtrisent pas, ou insuffisamment, les dépenses fiscales et les interventions des « opérateurs » ou entreprises publiques visant les mêmes objectifs, parfois plus importantes que les crédits de leur programme.
La visibilité de ces « responsables » sur les crédits dont ils peuvent disposer à un horizon pluriannuel est faible et, jusqu’à 2018, elle était même limitée à l’horizon des prochains mois. En effet, les gouvernements faisaient voter par le Parlement des lois de finances peu sincères, ce qui obligeait le ministère du budget à geler des crédits pour les annuler ou les redéployer en cours d’exécution vers les programmes qui en avaient vraiment besoin.
Les projets et rapports annuels de performance (PAP et RAP), avec leurs centaines d’objectifs et d’indicateurs, ont un faible impact sur la gestion publique et ont très peu contribué à améliorer les performances de l’Etat. Certes, aucun pays n’a établi de lien automatique entre performances des services et dotations budgétaires mais la répartition des crédits budgétaires n’a aucun rapport avec les objectifs et indicateurs des PAP et RAP. La réalisation de ces objectifs dépend le plus souvent de facteurs indépendants de l’action des gestionnaires de programmes dont ils ne peuvent pas être tenus pour responsables.
Les PAP comprennent une « justification au premier euro » (JPE) des crédits du programme qui oblige en principe les parlementaires à revenir sur les crédits votés antérieurement et à ne pas se contenter d’examiner les mesures nouvelles. Cette JPE n’est toutefois qu’une ventilation comptable des crédits du programme entre ses principaux éléments et non une justification économique des dépenses.
Entre la responsabilité pénale des fonctionnaires, sans doute trop étendue car incitant à une prudence excessive, et la sanction par le pouvoir hiérarchique, qui risque de rester insuffisante, il faudrait mettre en place un régime juridictionnel efficace de responsabilité des fonctionnaires en cas de faute lourde de gestion, sachant qu’il sera toujours difficile de caractériser de telles fautes lourdes. La mise en jeu de leur responsabilité devant la Cour des comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière ne suffit pas.
La LOLF a consolidé une logique verticale de fonctionnement de l’Etat qui fait obstacle à la coordination des services dans les territoires. Cette contradiction ne pourrait être levée qu’en décentralisant plus largement la gestion des dépenses publiques aux collectivités locales tout en les soumettant à une contrainte budgétaire stricte.
Je crains finalement que la rationalisation des choix budgétaires, pour reprendre l’appellation d’une réforme qui précéda la LOLF et fut également un échec, ne soit une utopie bureaucratique. La « nouvelle gestion publique » a déçu dans beaucoup de pays et ne sera jamais suffisamment rationnelle et efficace, parce que c’est trop difficile. Il faut donc surtout que les interventions de l’Etat se limitent au strict nécessaire, ce qui n’est pas le cas en France et nous distingue le plus des autres pays.
François ECALLE est Président de Finances publiques et économie (FIPECO) et membre de la Société d’Economie Politique