La chronique du 25 octobre 2021
Prix du carburant : une réforme de fond du prix de l'énergie reste à faire
Par Etienne CHANTREL
Retour de l’inflation, que tout le monde espère temporaire, niveau record des prix de l’énergie… Ces dernières semaines, la question du pouvoir d’achat est revenue au premier plan des préoccupations publiques en France.
Le prix du carburant automobile cristallise les attentions. Il représente pour les ménages une dépense non négligeable, de l’ordre de 4 % du panier moyen de dépenses retenu pour établir l’indice des prix à la consommation, mais son poids dans les représentations collectives va bien au-delà de sa part dans les dépenses. En effet, les ménages sont plus sensibles aux dépenses répétées, et ce d’autant plus qu’il s’agit de prix qui varient souvent. Le prix du carburant cumule ces caractéristiques. Une note récente de la Banque de France a ainsi prouvé que les prix du pétrole se répercutent rapidement sur les prix à la pompe : plus de la moitié de la transmission se fait en une semaine, et toute la transmission est faite en 4 semaines, de manière symétrique à la hausse et à la baisse[1].
Face à la pression publique, le Gouvernement a dévoilé jeudi 21 octobre sa mesure destinée à rassurer les ménages sur la question du pouvoir d’achat. Elle prend la forme d’un versement forfaitaire ponctuel baptisé « indemnité inflation », qui devrait toucher 38 millions de Français gagnant moins de 2.000 euros par mois. La mesure est plus large que la revalorisation du chèque énergie, un temps envisagée et qui aurait nécessité un travail complexe de recensement des ménages qui utilisent le plus leur voiture. Elle évite surtout de toucher aux prix eux-mêmes, contrairement à un bouclier tarifaire (comme celui annoncé en septembre pour le gaz et l’électricité) ou à une baisse ciblée de la fiscalité, qui représente 50 à 60 % du prix du carburant.
La mesure a a priori tout pour séduire un économiste. En ciblant la mesure sur les Français gagnant moins de 2.000 euros par mois on répond, du moins en partie, à l’impact disproportionné d’une hausse des prix du carburant sur les ménages les plus modestes. Surtout, en ne touchant pas aux prix du carburant eux-mêmes, on évite de mettre à mal le « signal-prix ».
La théorie économique enseigne en effet que la manière la plus efficace de modifier les comportements des ménages est que les prix soient fixés à un niveau qui reflète la réalité du marché et les externalités. En l’occurrence, le prix du carburant doit naturellement être supérieur à la somme des coûts de production (notamment le prix du pétrole) et des marges, car il doit intégrer le coût pour la société de la pollution liée à l’utilisation de la voiture à essence, au premier chef son impact sur le changement climatique. C’est ce prix qui poussera les ménages à modifier progressivement leur comportement, il est donc vital en théorie de ne pas le manipuler à la baisse pour des raisons conjoncturelles.
Mais le niveau des prix du carburant actuel ne reflète pas du tout cet optimum théorique. S’il est effectivement plus élevé que la somme des coûts, c’est par l’accumulation de taxes qui ne reflètent pas le niveau que nécessite l’objectif de lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, une hausse rapide et brutale ne favorise pas l’adaptation des comportements des ménages à long terme.
En réalité, le changement climatique nécessite une politique plus globale, qui doit inclure une tarification du carbone. Pas seulement des externalités « carbone » du carburant automobile, mais du carbone en général, de la manière la plus neutre possible entre les secteurs. C’est une des préconisations de la commission présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole en juin 2021[2].
Cette réforme de fond du prix de l’énergie reste à faire. Elle est politiquement très risquée, comme l’ont prouvé les tentatives avortées de ces dernières années. Elle est techniquement complexe.
On pourrait regretter que la crise actuelle n’ait pas été l’occasion de lancer ce chantier. Mais était-il réaliste politiquement, en pleine campagne électorale et sur fond de hausse conjoncturelle des prix du pétrole, de nourrir un tel espoir ? La tentation était grande, au contraire, de prendre des mesures démagogiques de baisse des prix qui auraient été contre-productives dans le contexte de la nécessaire lutte contre le changement climatique. On pourra savoir gré au Gouvernement, en évitant la tentation de toucher aux prix du carburant, d’avoir au moins préservé les incitations des ménages à s’adapter progressivement à une énergie plus chère. En somme, d’avoir appliqué le précepte « primum non nocere ».
Etienne CHANTREL est Chef du service des concentrations à l'Autorité de la concurrence et membre de la Société d’Economie Politique
[1] Quelle transmission des prix du pétrole aux prix des carburants ?, Erwan Gautier, Magali Marx et Paul Vertier, 14 octobre 2021, https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/quelle-transmission-des-prix-du-petrole-aux-prix-des-carburants
[2] Les grands défis économiques, rapport de la commission présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, juin 2021, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-les_grands_defis_economiques-juin_0.pdf
[1] Thomas Philippon, The Great Reversal. How America gave up on free markets, Harvard University Press, 2019