La chronique du 30 octobre 2021
Le défi français des délais de paiement
Par Jean-Yves ARCHER
La reprise économique de 2021, en sollicitant la trésorerie des entreprises, fait resurgir le défi français des délais de paiements.
La vigueur de la croissance a mécaniquement accru le besoin en fonds de roulement des entreprises. En clair, il faut bien amorcer le financement du cycle d'exploitation pour être en mesure de répondre à la vague des nouvelles commandes.
Si les pénuries diverses, les déboires logistiques maritimes et les ruptures sèches en matière de semi-conducteurs sont des freins à la sérénité de l'offre, le choc de la structure bilancielle des entreprises ne doit pas être écartée de l'analyse.
Cela fait des années que la Coface – entre autres – publie des textes sur les délais de paiements et la spécificité française que je résume par une formule simple : " Quand mon fournisseur devient, malgré lui, mon banquier ! ".
En effet, c'est une singularité française que de voir la durée et l'ampleur des délais de paiements autrement dénommé : le crédit inter-entreprises.
Des milliers de PME courent après leurs factures échues que de grands donneurs d'ordre, dont elles dépendent commercialement, ne sont guère enclin à honorer.
La loi LME et d'autres dispositifs ont un peu réussi à réduire le défi français précité. Toutefois plusieurs grands groupes ont allongé leurs durées contractuelles de paiement lors de l'année 2020.
Pour ma part, féru de méso-économie, j'ai fréquemment écrit que la reprise serait en forme de " K " donc très inégale selon les secteurs. La question des délais de paiements participe pleinement de cette inégalité d'autant plus qu'elle se parcourt selon la taille des firmes et tout autant selon les secteurs où la fonction de production requiert proportionnellement davantage de capital.
A cet égard, les dispositifs publics de soutien contra-cyclique à l'économie ont permis d'éviter le " mur des faillites " mais il faut souligner avec insistance qu'avec plus de 6% de croissance en année 2021, bien des firmes sont néanmoins contraintes de demander un différé de remboursement de leurs PGE. S'il n'y avait pas de tensions de trésorerie, dans certains secteurs, il n'y aurait pas ce type de besoin sans évoquer la sempiternelle question des fonds propres et des quasi-fonds propres (ORA : obligations remboursables en actions, etc ).
La vie économique est caractérisée par une sédimentation de rapports de force : le crédit inter-entreprises en constitue un qualifiable de violent.
C'est bien ce qui explique le succès croissant des prestations d'affacturage qui permettent de voir l'argent rentrer minoré de frais de gestion frôlant les 5% de la facturation nominale ce qui peut être un véritable incinérateur de profit car certains types d'activité ne génèrent pas 5% de marge nette.
Le Rapport de l'Observatoire des délais de paiements (https://publications.banque-france.fr/liste-chronologique/rapport-de-lobservatoire-des-delais-de-paiement ) est instructif.
Sur un an, les délais fournisseurs avaient diminué de 2 jours d’achats, soit 49 jours en 2019 contre 51 jours en 2018,
et les délais clients de 1,5 jour, à 43 jours de chiffre d’affaires.
La crise a affecté cette amélioration au point que la Banque de France va dorénavant intégrer, dans sa cotation, une analyse des délais de paiement dans le but d'exercer une pression significative sur les payeurs tardifs.
Le rapport Prost de 2020 précité est très instructif. Différents partenaires extérieurs, dont Rexecode en liaison avec l'AFTE et la BPI réitèrent leurs convictions au sujet du caractère potentiellement toxique des délais de paiements.
Le Rapport 2018 est aussi limpide :
" Près d’une entreprise sur trois supporte des paiements à plus de 60 jours.
Ce déficit de liquidité est estimé à 19 milliards d’euros pour les PME.
À l’inverse, les grandes entreprises, qui sont plus de la moitié (54%) à régler leurs fournisseurs avec retard, bénéficient d’un transfert de trésorerie de 13 milliards d’euros. "
Sans exagération, le terme mesuré de transfert de trésorerie masque mal les souffrances de nos PME et les profits financiers " additionnels " des grands groupes. Sans parler des acteurs de la commande publique qui payent clairement avec retard. En France, où nombre de PME dépendent de l'État tellement omniprésent dans la sphère économique.
D'où un crédit inter-entreprises qui représente une somme globale de plus de 640 milliards d'échanges de flux monétaires dont l'ancien vice-Président du Sénat, Étienne Dailly, s'était magistralement occupé, dans les années 1980, en installant dans notre paysage financier les fameux " bordereaux Dailly " : outil de mobilisation des créances non échues.
Jean-Yves ARCHER est économiste spécialisé en finances publiques et membre de la Société d’Economie Politique